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On est 7 millions
3 janvier 2016

DES QUILLES

Il arrive régulièrement que, dans notre beau pays, des automobilistes s'amusent à jouer aux quilles avec les policiers. Non, non, je ne parle pas d'ativité ludique visant à favoriser la cohésion et le vivre ensemble de la police de proximité avec nos ados de banlieue. Parce que là, la quille c'est le flic et la boule la voiture. Au volant de laquelle se trouve, selon les cas, un "forcené", un" jeune" ou un "chauffard".

Le "forcené", c'est celui qui, face à un contrôle de police fonce délibérément dans le tas, renverse au passage quelques gardiens, roule au besoin sur l'un d'eux, et termine sa course stoppé par la balle d'un autre, qui a fini par sortir son arme de service. On découvre alors que le type en question, truand notoire et déjà lourdement condamné, n'aurait dû être libéré qu'en l'an de grâce 2033 mais, par les jeu des remises de peine et aménagements divers, se retrouve dehors depuis trois semaines. Tout pourrait donc s'arrêter là, avec remise définitive sous les verrous du malfrat et, au surplus, les félicitations du ministre de l'intérieur aux braves gardiens de la paix. Mais dans les faits, ça ne se passe pas comme ça. Ca, c'était avant. 

Aujourd'hui, on "s'interroge". Bon, d'accord, le forcené n'était pas blanc-bleu. Mais enfin, ce policier qui a sorti son arme était-il bien en état de légitime défense ? N'y avait-il pas d'autre moyen d'arrêter le fuyard ? Les sommations d'usage ont-elles été respectées ? Est-ce bien de la légitime défense d'abattre quelqu'un en lui tirant dans le dos ? (On notera au passage que personne ne remarque qu'il est très difficile de tirer de face sur une personne qui s'enfuit. Il existe des questions qu'il ne faut pas poser, même dans un monde où on s'interroge). Après quoi une enquête de la police des polices est ouverte, le flic qui a tiré est suspendu (pas celui sur lequel le truand a roulé, lui il est, au mieux, à l'hopital, au pire, à la morgue), son arme de service lui est retirée et il est placé illico en garde à vue, puis inculpé de tentative d'homicide en attendant les résultats de l'enquête. Le ministre de l'intérieur, l'air mi-sévère mi-compassé qui lui sied si bien, affirme que "toute la lumière sera faite sur cette triste affaire".

Le "jeune" c'est celui qui, face à un contrôle de police, cherche à foncer dans le tas, essaie de renverser quelques gardiens ou de rouler sur l'un d'eux, mais perd un brin les pédales et termine sa course dans un arbre. Aucun flic ne sort son arme de service, pas le temps, le jeune s'est planté tout seul et n'a plus qu'à être cueilli comme un fruit mur. On découvre alors que le type en question, déjà "défavorablement connu des services de police" possède un casier judiciare épais comme l'oeuvre de Victor Hugo, mais n'a, en revanche, ni permis ni assurance, et pour cause, il est mineur et à cause de cela n'a jamais été condamné à autre chose que de simples rappels à la loi. On pourrait peut-être, ce coup-ci, une fois tous ses morceaux recollés, le coller finalement en prison, non ? Non.

On s'interroge à nouveau. Que faisaient là les policiers ? N'est-ce pas une provocation de leur part d'avoir tenté d'arrêter de gamin ? Ce gosse qui pourrait être le nôtre ? Que lui avait donc fait la police pour qu'il en ait peur au point de ne pas obtempérer à un contrôle ? Les représentants de la loi lui ont-il porté secours suffisamment rapidement ? Une enquête de la police des polices est ouverte, les trois flics présents sur place sont suspendus, leur arme de service leur est retirée (on se demande bien pourquoi, puisqu'ils ne s'en sont pas servi), ils sont placés en garde à vue et interrogés séparément, confrontés à d'autres "jeunes" qui sont arrivés après mais qui ont tout vu, et enfin inculpés de non assistance à personne en danger en attendant les résultats de l'enquête. La banlieue s'enflamme, on envoie des renforts de CRS, les dégâts se chiffrent en dizaines de milliers d'euros, le ministre de l'intérieur, l'air mi-sévère mi-compassé qui lui sied si bien, se rend auprès de la famille qui, photo du fiston en main, explique devant les caméras à quel brillant avenir il était promis, à quoi le ministre répond que "toute la lumière sera faite sur cette triste affaire".

Le "chauffard", c'est celui qui, face à un contôle de police, cherche à éviter le tas, ne veut surtout rouler sur personne, voudrait bien stopper rapidement, mais a le pied un brin maladroit sur le frein et oblige le policier qui s'approchait de lui à faire un écart pour ne pas voir sa botte un peu éraflée. On découvre alors que le type en question n'a jamais eu affaire à la police, possède un permis bien en règle et une assurance, mais a, par malheur, un peu trop arrosé la naissance sa fille ou le départ à la retraite d'un collègue, et qu'avec ses "trois verres bonjour les dégâts", il fait virer le ballon au rouge. 

On ne s'interroge pas. Le véhicule est confisqué, le permis aussi, le chauffard est placé illico en garde à vue sous l'inculpation de conduite sous l'empire d'un état alcoolique. On établira plus tard qu'il avait 0,82 grammes dans le sang et pour cela, il sera condamné à une peine de prison de trois ans (avec sursis), une amende carabinée, plus un retrait de permis prolongé de deux ans. Le flic ajoutera une mention dans la colonne "délits" et une croix en face, dans la case "affaires résolues" et sera félicité par sa hiérarchie. On ne verra pas l'air mi-sévère mi-compassé du ministre, mais une nouvelle campagne de prévention sur les dangers de l'alcool au volant à la télé.

Après quoi, tous les matins, le chauffard se lèvera une heure et demie plus tôt que d'habitude pour attraper le train qui le conduit au turbin, et rentrer à des heures impossibles le soir puisqu'il devra, en plus, à faire des heures sup pour parvenir à régler sa contravention. Lui, la quille, il ne joue pas avec. Il l'attend.

 

 

 

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