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On est 7 millions

3 janvier 2016

DES QUILLES (2)

Dans le milieu, relativement fermé tout de même, des joueurs de quilles sur forces de l’ordre, il existe une quatrième catégorie. Indéfinissable. Inclassable. On ne sait pas d’où ils viennent. On ne sait pas qui ils sont. A peine ce qu’ils ont fait et comment ça s’est passé. Du moins au début.

Si les informations concernant le « chauffard » sont immédiates et en gros titres, celles du « jeune » un peu plus tardives et entourées de précautions, et celles du « forcené » encore plus longues à filtrer et presque toujours précédées d’une allocution d’un juge, ou même de la garde des sceaux en personne, les renseignements au sujet de l’Inclassable demeurent longtemps encore plus parfaitement opaques. D’ailleurs, dans l’énoncé des faits, on a plutôt tendance à inverser les choses : « Les forces de l’ordre tirent sur une voiture » titrent, en plus ou moins gros caractères, les journaux. Ce n’est qu’ensuite qu’on ajoute que ladite voiture leur avait foncé dessus. Ah bon, on n’est pas aux Etats-Unis.

Ces types de joueurs, s’ils restent mystérieux, possèdent cependant des caractéristiques communes.

D’abord, le flou qui les entoure ne se dissipe que lentement, et les informations sont données avec une parcimonie crasse. On nous affirme tout d’abord que « l’homme n’a pas pu être interrogé, son état ne le permettant pas ». Il est vrai que les forces de l’ordre, quand on tente de les écraser sous les roues d’une auto, ont une fâcheuse tendance à répliquer. Et pourtant, avec l’Inclassable, même s’il est touché, aucune enquête de la police des polices n’est mise en branle.

On apprend ensuite que « l’individu tient des propos incohérents et confus », et qu’il « ne semble pas jouir de toutes ses facultés mentales ». On admettra sans peine qu’il faut être sérieusement allumé du bocal pour aller volontairement foncer sur les flics, ou sur qui que ce soit, au volant d’une voiture. Cela n’éclaire donc nullement notre lanterne. A noter que cela n'exclut rien non plus.

On nous explique enfin qu’on ignore « quelles sont ses motivations ». Et, tout de suite après cette annonce, alors que jusque-là on se montrait avare de détails, on nous assène une vérité formidable : « L’homme n’est pas un terroriste. »

Fermez le ban. L’Inclassable ne se classe pas, il ne se définit pas, ou alors seulement par ce qu’il n’est pas.

Dernier détail : très vite, on n’en entend plus parler. Un peu comme les votants du 13 décembre, l’Inclassable se volatilise.

Un exemple. L’un d’eux, ouvrant l’année en beauté, s’est manifesté dès le 1er janvier. L’attitude du procureur chargé de l’enquête est, à cet égard, un modèle du genre. Et pour qu’on ne m’accuse pas de parti pris, je reproduis ci-dessous l’article du Monde de ce jour :

« Un homme a foncé en voiture, vendredi, sur quatre militaires postés devant la grande mosquée de Valence. Le véhicule est revenu à la charge et les militaires ont ouvert le feu au deuxième assaut, blessant grièvement le conducteur au bras et à la jambe. L’un des quatre militaires a été touché par le véhicule et légèrement blessé au genou et au tibia. Un fidèle, âgé de 72 ans, a aussi été légèrement blessé à une jambe par une balle perdue. Le conducteur du véhicule est âgé de 29 ans et originaire de Bron, dans la banlieue lyonnaise. Inconnu des services de police. Il a été hospitalisé puis opéré à Valence, sous le régime de la garde à vue. Le procureur de la République de Valence, Alex Perrin, a affirmé que l’homme avait« manifestement (…) agi en solitaire ». Pour le procureur, l’agresseur, qui aurait dit « Allahou Akbar ! » (« Dieu est le plus grand ! ») lors de l’attaque, semble avoir « un lien avec une certaine religiosité ». Mais « rien ne renvoie à l’appartenance à un réseau quelconque »et ses motivations sont « pour l’instant inexplicables ».Dans des propos « confus » aux secouristes, l’homme a dit qu’il souhaitait« tuer des militaires » parce que « des militaires tuaient des gens ». Dans les instants suivant sa neutralisation, l’homme a dit souhaiter « être tué par des militaires, comme si c’était une façon de se présenter comme un martyr ».Le parquet a décidé d’écarter pour le moment la piste terroriste. Ni arme ni explosif n’ont été trouvés à l’intérieur de la Peugeot 307 break rouge utilisée par l’agresseur. Une information judiciaire pour « tentative d’homicide sur personnes dépositaires de l’autorité publique » sera ouverte dimanche à Valence. La section antiterroriste du parquet de Paris a décidé de ne pas se saisir du dossier. Des « images de propagande djihadiste » ont été retrouvées par les enquêteurs sur son ordinateur, mais celles-ci « peuvent être tout à fait trouvées par n’importe qui sur Internet », a précisé M. Perrin. » (Le Monde du 3 janvier 2015)

Que ceux qui doutaient encore soient définitivement rassurés ; le gars n’est pas fiché S, ce qui confirme bien qu’il n’est pas un terroriste. Moi, ça me semble un brin prendre les effets pour les causes. Mais il est vrai que je ne suis pas procureur.

J’allais oublier : ce matin, France Info a ouvert son journal de 7h30 sur la mort de Michel Delpech.

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3 janvier 2016

DES QUILLES

Il arrive régulièrement que, dans notre beau pays, des automobilistes s'amusent à jouer aux quilles avec les policiers. Non, non, je ne parle pas d'ativité ludique visant à favoriser la cohésion et le vivre ensemble de la police de proximité avec nos ados de banlieue. Parce que là, la quille c'est le flic et la boule la voiture. Au volant de laquelle se trouve, selon les cas, un "forcené", un" jeune" ou un "chauffard".

Le "forcené", c'est celui qui, face à un contrôle de police fonce délibérément dans le tas, renverse au passage quelques gardiens, roule au besoin sur l'un d'eux, et termine sa course stoppé par la balle d'un autre, qui a fini par sortir son arme de service. On découvre alors que le type en question, truand notoire et déjà lourdement condamné, n'aurait dû être libéré qu'en l'an de grâce 2033 mais, par les jeu des remises de peine et aménagements divers, se retrouve dehors depuis trois semaines. Tout pourrait donc s'arrêter là, avec remise définitive sous les verrous du malfrat et, au surplus, les félicitations du ministre de l'intérieur aux braves gardiens de la paix. Mais dans les faits, ça ne se passe pas comme ça. Ca, c'était avant. 

Aujourd'hui, on "s'interroge". Bon, d'accord, le forcené n'était pas blanc-bleu. Mais enfin, ce policier qui a sorti son arme était-il bien en état de légitime défense ? N'y avait-il pas d'autre moyen d'arrêter le fuyard ? Les sommations d'usage ont-elles été respectées ? Est-ce bien de la légitime défense d'abattre quelqu'un en lui tirant dans le dos ? (On notera au passage que personne ne remarque qu'il est très difficile de tirer de face sur une personne qui s'enfuit. Il existe des questions qu'il ne faut pas poser, même dans un monde où on s'interroge). Après quoi une enquête de la police des polices est ouverte, le flic qui a tiré est suspendu (pas celui sur lequel le truand a roulé, lui il est, au mieux, à l'hopital, au pire, à la morgue), son arme de service lui est retirée et il est placé illico en garde à vue, puis inculpé de tentative d'homicide en attendant les résultats de l'enquête. Le ministre de l'intérieur, l'air mi-sévère mi-compassé qui lui sied si bien, affirme que "toute la lumière sera faite sur cette triste affaire".

Le "jeune" c'est celui qui, face à un contrôle de police, cherche à foncer dans le tas, essaie de renverser quelques gardiens ou de rouler sur l'un d'eux, mais perd un brin les pédales et termine sa course dans un arbre. Aucun flic ne sort son arme de service, pas le temps, le jeune s'est planté tout seul et n'a plus qu'à être cueilli comme un fruit mur. On découvre alors que le type en question, déjà "défavorablement connu des services de police" possède un casier judiciare épais comme l'oeuvre de Victor Hugo, mais n'a, en revanche, ni permis ni assurance, et pour cause, il est mineur et à cause de cela n'a jamais été condamné à autre chose que de simples rappels à la loi. On pourrait peut-être, ce coup-ci, une fois tous ses morceaux recollés, le coller finalement en prison, non ? Non.

On s'interroge à nouveau. Que faisaient là les policiers ? N'est-ce pas une provocation de leur part d'avoir tenté d'arrêter de gamin ? Ce gosse qui pourrait être le nôtre ? Que lui avait donc fait la police pour qu'il en ait peur au point de ne pas obtempérer à un contrôle ? Les représentants de la loi lui ont-il porté secours suffisamment rapidement ? Une enquête de la police des polices est ouverte, les trois flics présents sur place sont suspendus, leur arme de service leur est retirée (on se demande bien pourquoi, puisqu'ils ne s'en sont pas servi), ils sont placés en garde à vue et interrogés séparément, confrontés à d'autres "jeunes" qui sont arrivés après mais qui ont tout vu, et enfin inculpés de non assistance à personne en danger en attendant les résultats de l'enquête. La banlieue s'enflamme, on envoie des renforts de CRS, les dégâts se chiffrent en dizaines de milliers d'euros, le ministre de l'intérieur, l'air mi-sévère mi-compassé qui lui sied si bien, se rend auprès de la famille qui, photo du fiston en main, explique devant les caméras à quel brillant avenir il était promis, à quoi le ministre répond que "toute la lumière sera faite sur cette triste affaire".

Le "chauffard", c'est celui qui, face à un contôle de police, cherche à éviter le tas, ne veut surtout rouler sur personne, voudrait bien stopper rapidement, mais a le pied un brin maladroit sur le frein et oblige le policier qui s'approchait de lui à faire un écart pour ne pas voir sa botte un peu éraflée. On découvre alors que le type en question n'a jamais eu affaire à la police, possède un permis bien en règle et une assurance, mais a, par malheur, un peu trop arrosé la naissance sa fille ou le départ à la retraite d'un collègue, et qu'avec ses "trois verres bonjour les dégâts", il fait virer le ballon au rouge. 

On ne s'interroge pas. Le véhicule est confisqué, le permis aussi, le chauffard est placé illico en garde à vue sous l'inculpation de conduite sous l'empire d'un état alcoolique. On établira plus tard qu'il avait 0,82 grammes dans le sang et pour cela, il sera condamné à une peine de prison de trois ans (avec sursis), une amende carabinée, plus un retrait de permis prolongé de deux ans. Le flic ajoutera une mention dans la colonne "délits" et une croix en face, dans la case "affaires résolues" et sera félicité par sa hiérarchie. On ne verra pas l'air mi-sévère mi-compassé du ministre, mais une nouvelle campagne de prévention sur les dangers de l'alcool au volant à la télé.

Après quoi, tous les matins, le chauffard se lèvera une heure et demie plus tôt que d'habitude pour attraper le train qui le conduit au turbin, et rentrer à des heures impossibles le soir puisqu'il devra, en plus, à faire des heures sup pour parvenir à régler sa contravention. Lui, la quille, il ne joue pas avec. Il l'attend.

 

 

 

3 janvier 2016

DU NOMBRE

On est 7 millions. 

7 millions c’est, en gros, la population de la Jordanie, du Laos ou du Paraguay. Le double de celle de l’Uruguay ou du Panama. A un million près, celle de la Suisse. C’est-à-dire que, à nous tous, nous sommes un petit pays.

En fouillant un peu sur la toile, j’apprends que, selon les statistiques, 7 millions de personnes ont été touchées par les attentats de Paris, parce que « elles connaitraient quelqu’un qui a perdu quelqu’un » (article du Point du 11 décembre), qu’au soir du 19 novembre, 7 millions de téléspectateurs étaient devant leur poste à regarder TF1 pour l’hommage aux victimes du « terrorisme », soit 26,7% de part de marché, largement en tête de toutes les audiences, et que la « métropole du Grand Paris est un mastodonte de 7 millions d’âmes » ( Le Parisien du 15 décembre).

Le rapport entre tous ces chiffres ? Juste le nombre. C’est pour donner un ordre de grandeur. Pour dire que ça fait beaucoup. Le Parisien le qualifie même de « mastodonte ». Moi je disais un petit pays.

Et pourtant, mastodonte ou petit pays, nous ne sommes rien. Au soir du dimanche 13 décembre 2015, nous avons disparu. Pfuit ! Envolés. Effacés. Gommés. Assassiné, le mastodonte. Rayé de la carte, le petit pays.

Parce que nous avons beau être 7 millions, nous sommes les vilains. Les vilains, ce sont ceux qui votent mal. Alors, nos bulletins, on les a mis à la poubelle. Enfin, pas vraiment, on ne pouvait pas : ça se serait vu, ça aurait fait un peu désordre. Virtuellement, ils ont fait ça. Pour protéger la démocratie. Parce que nous, nous ne sommes pas des démocrates. Alors nos votes, ils ne comptent pas. C’est ça, la démocratie bien comprise.

Apparemment, ça n’a choqué personne. Même pas les journalistes, dont pourtant c’est un peu le métier quand même. Enfin, je croyais. Non, non : tout le monde a dit qu’on avait évité le pire, dominé la peste brune, écrasé la bête immonde, enfin bref, on restait entre soi. Entre gens qui votent bien, qui pensent bien, qui disent tout bien comme il faut. Des démocrates, quoi.

Pour faire encore plus démocrate, d’ailleurs, dans les deux régions où la gauche s’était désistée au profit de la droite afin de « faire barrage », on a créé une espèce de « Conseil régional bis » avec des gens non élus (forcément puisqu’ils ne s’étaient pas présentés), qui se réunira en parallèle du vrai Conseil régional, et « dont les avis seront écoutés et satisfaits dans la mesure du possible ». Enfin, ça n’était pas tout à fait dit comme ça, mais le sens y est.

Mais je ne comprends pas bien, là ? Des gens qui n’ont pas été choisis par les électeurs, mais simplement nommés par leurs pairs (comme ce sont des gens qui causent bien, je ne dis pas les « copains », ça ne se fait pas dans leur monde), ça ne peut pas être compté comme des élus ?

Ta gueule, les démocrates c’est nous. Vous, vous êtes les fachos. Donc, c’est nous qui décidons, et on élit qui on veut. Votre seul droit, c’est de vous taire. Et le pire, c’est qu’on se tait. Notre voix, nos voix, on ne les entend pas.

On a fait des manifs un peu partout, au soir du 13 décembre pour crier notre désaccord, comme savent si bien les faire les gens de la gauche bien-pensante dès qu’on réussit une petite percée électorale ? Non.

On a fait de l’agit-prop auprès des collégiens pour les faire descendre dans la rue hurler des slogans dont ils ne comprennent pas le sens, mais c’est tellement plus marrant que d’aller en cours ? Non.

Il y a eu des débats télévisés, afin que les habituels pontifiants des plateaux viennent proférer quelques banalités bien senties autour de ce déni de démocratie ? Non.

Des journalistes de presse écrite ont pris la plume pour dénoncer de hold-up électoral ? Non.

Mais surtout n’y voyez pas malice : puisqu’on vous dit que ce sont eux, les démocrates. Ils ont décidé, une fois pour toutes, des règles de la partie. Avec un postulat : nous, on ne joue pas.

Mais on peut parler, quand même. Du moins je crois. Enfin, je vais essayer. Histoire de rappeler aux 7 millions qu’ils ne sont pas tout seuls. Non mais des fois.

 

 

 

 

 

 

 

 

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  • Réflexions sur le temps présent, le temps passé, le temps qui passe et -peut-être- le temps à venir. Ou l'explication du "comment 7 millions de Français, et moi et moi et moi, en sont arrivés là".
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